De Namur à Luxembourg

1559-2009


Bref aperçu des 450 ans d'existence

du Diocèse de Namur


© 2009 - Chanoine Daniel Meynen





Le 30 septembre 1823, l'évêque de Namur, Charles-François-Joseph de Pisani de la Gaude, arrive à Luxembourg-Ville pour prendre possession de cette nouvelle partie de son diocèse : en vertu d'un Décret du Saint-Siège en date du 30 juillet précédent, non seulement les deux cantons de Philippeville et de Couvin, mais surtout la plus grande partie du Grand-Duché de Luxembourg, celle qui relevait du diocèse de Metz, sont désormais placés sous la juridiction de l'évêque de Namur. Ce dernier est alors à la tête d'un diocèse qui a atteint sa plus grande dimension géographique, depuis son origine en l'an 1559, jusqu'à aujourd'hui, en l'année 2009. Le diocèse de Namur se compose en effet, à partir de 1823, c'est-à-dire sous l'administration civile néerlandaise, de la province de Namur et du Grand-Duché de Luxembourg, qui, en 1830, devient la province de Luxembourg.


Tout cela ne dure pas longtemps. Le 2 juin 1840, suivant les mouvements politiques initiés dès 1839, la grande province du Luxembourg est coupée en deux selon la frontière linguistique (à quelques exceptions près), et toute la partie qui compose aujourd'hui le Grand-Duché de Luxembourg est soustraite du diocèse de Namur pour être érigée en vicariat apostolique. Deux ans plus tard, par Décret du Saint-Siège en date du 7 octobre 1842, le diocèse de Namur se compose définitivement de la province de Namur et de la province du Luxembourg belge. Le même décret impose aussi l'échange de quelques paroisses entre les diocèses de Liège et de Namur. Au cours des décennies qui suivent, le diocèse de Namur ne change pas de dimension, si ce n'est, encore, par l'échange de quelques paroisses avec les diocèses voisins.






Le diocèse de Namur de 1823 à 1839

"Cambridge Modern History Atlas", 1912 (Univesity of Texas)




Que s'est-il passé avant 1840 ? Quelles ont été les péripéties du diocèse de Namur avant cette date ? Pour répondre à ces questions, il ne faut pas remonter très loin dans le temps. Le diocèse de Namur ne peut pas se prévaloir d'une histoire aussi longue et aussi ancienne que celle respective de ses deux voisins wallons, Liège et Tournai, ce dernier remontant à l'an 500 environ, et l'autre aux tout premiers siècles de l'ère chrétienne, si on joint aux évêques de Liège ceux de Maastricht et de Tongres.


C'est au cours du 16ème siècle que le diocèse de Namur voit le jour, sous le règne et à la demande du Roi Philippe II d'Espagne, lequel ne fait que reprendre en cela l'idée de son père, l'Empereur Charles-Quint. Nous sommes en pleine Contre-Réforme, cette réaction catholique face à la Réforme protestante. La société d'alors est chrétienne, et les princes de ce temps ne sont pas étrangers aux faits religieux de la société. Bien plus, partout, chez les catholiques comme chez les protestants, prévaut l'axiome : Cujus regio, ejus religio. C'est-à-dire que chaque prince prétend imposer la religion qui est la sienne à tout le peuple qui est sur son territoire ou domaine. En Angleterre, par exemple, le Roi Henri VIII vient d'imposer le protestantisme anglican à tout son peuple, et il s'est lui-même érigé en chef spirituel de son église. On comprend donc l'action du Roi Philippe II demandant au Pape de restructurer l'organisation ecclésiastique dans les Pays-Bas espagnols (c'est-à-dire grosso modo la Belgique et les Pays-Bas actuels), pour faire face aux Calvinistes présents dans ses États et en France, ainsi qu'aux Luthériens allemands et anglais.


Par l’édit du 4 novembre 1549, appelé Pragmatique sanction, faisant suite à la Transaction d’Augsbourg (26 juin 1548), Charles-Quint unifie les Dix-Sept Provinces des Pays-Bas sous le pouvoir et la possession d’un Prince unique, dont l’héritage est déclaré indivisible. Par l’abdication de Charles-Quint (1555), ces Provinces sont placées sous l’autorité unique du nouveau Roi d’Espagne : Philippe II. Mais la situation est telle, à cette époque, que le nouveau souverain se trouve à la tête d'un état, ou d'une partie d'état - les Pays-Bas espagnols - dont le pouvoir et l'autorité spirituelle relèvent de prélats et d'évêques établis dans des États étrangers, et donc en quelque sorte dépendant de souverains temporels autres que lui, évêques et prélats qui pourraient ainsi devenir hostiles à la couronne espagnole. En effet, l'ensemble des territoires composés par les Dix-Sept Provinces et la Principauté de Liège, c'est-à-dire, pour nous aujourd'hui, les Pays-Bas, la Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg, et le Nord-Pas-de-Calais, est placé sous la juridiction spirituelle, ecclésiastique de trois archevêques : celui de Reims, celui de Trèves, et celui de Cologne. Cela ne doit pas nous étonner : c'est notamment à partir de Trèves et de Cologne que le Christianisme semble avoir pénétré dans nos provinces belges. De plus, les différents évêchés situés dans les Pays-Bas espagnols, et qui relèvent desdits archevêchés, savoir : Münster, Osnabrück, Utrecht, et Liège pour Cologne ; Metz et Verdun pour Trèves ; Cambrai, Tournai, Arras, et Thérouanne pour Reims ; tous ces évêchés ont été créés soit à l'époque romaine, soit au début du Moyen-Âge. Devenu Roi d'Espagne, Philippe II se trouve donc face à une situation présente désavantageuse, et qui plus est, fondée sur la plus antique tradition, à laquelle le clergé et le peuple chrétien restent fortement attachés.




Philippe II accède au trône d'Espagne en 1556. Il ne lui faut que trois années pour obtenir du Pape Paul IV la création de nouveaux évêchés, dont celui de Namur, dans les Pays-Bas espagnols. Le pape Paul IV établit plusieurs évêchés dans les Indes et treize dans les Pays-Bas, où il n'y en avait que deux, Cambrai et Utrecht, avec deux côtés de la France, Arras et Tournay... A la requête du roi d'Espagne, souverain des Pays-Bas, Paul IV érigea en archevêchés les évêchés de Cambrai et d'Utrecht, institua un archevêché à Malines et treize nouveaux évêchés répartis sous ces trois métropoles : sous celle de Cambrai, Saint-Omer, Arras, Tournay et Namur ; sous celle de Malines, Anvers, Gand, Bruges, Bois-le-Duc, Ypres et Ruremonde ; sous Utrecht, Harlem, Deventer, Middelbourg, Lewarden et Groningue. (Abbé Rohrbacher, Histoire universelle de l'Église catholique, Paris, 1904, t. XI, p. 471) Cette décision du Pape Paul IV date du consistoire tenu le 12 mai 1559, mais elle n'est consignée par écrit que le 31 juillet suivant. Quelques jours plus tard, le 18 août 1559, Paul IV meurt, au cours de sa quatre-vingt-quatrième année.


Si ces transformations ont été si rapides, c'est parce qu'elles ont été initiées longtemps auparavant. Sans tenir compte des tentatives infructueuses datant des XIIIè, XIVè, et XVè siècles, il faut en effet remonter à l'époque de Charles-Quint, dès ce temps même où Luther répand sa doctrine et est excommunié (1520-1521). Ainsi, les négociations furent longues et compliquées et firent l'objet de deux plans successifs. Commencées effectivement en 1522 et engagées suivant un dessein initial (1525-1530) prévoyant six nouveaux évêchés, elles se poursuivirent durant la deuxième session du concile de Trente (1551-1552) dans la perspective de la création de douze circonscriptions nouvelles. Entre les pourparlers ébauchés par Charles-Quint avec le Pape Adrien VI, son ancien précepteur, la question s'éternisa durant cinq pontificats jusqu'à l'avènement de Paul IV (1555). (F. JACQUES, Aux Origines du Diocèse de Namur, Namur, 1988, pp. 76-77)


Une commission composée de Viglius, de Nigri, et de Michel Driutius avait été créée en 1557. Ses travaux s'achevaient : établissement de cartes, tableaux de revenus, listes de paroisses et de chapitres, etc. Le 8 mars 1558, Philippe II dépêchait à Rome en qualité de négociateur Sonnius, docteur et recteur de l'Université de Louvain. Nanti d'informations détaillées et d'instructions précises, celui-ci, parti pour la Ville éternelle le 25 mars 1558, y était arrivé le 13 mai suivant. Après une année de laborieuses négociations, sans cesse entrecoupée de retards et de contretemps imprévus, il pouvait enfin, en même temps que Pacheco, le cardinal-protecteur d'Espagne, aviser Philippe II, dès le 13 mai 1559, que le pape Paul IV avait consenti, dans son consistoire de la veille, à la création de nouveaux évêchés, malgré l'opposition française. (F. JACQUES, Le Diocèse de Namur en 1561, Bruxelles, 1968, p. XVIII) C'est ainsi que le pape Paul IV octroya la première bulle générale créatrice des nouveaux évêchés, la bulle Super universas du 12 mai 1559. Cette bulle est générale et collective, mais capitale, car elle renouvelle intégralement la hiérarchie ecclésiastique dans les Pays-Bas. (F. JACQUES, Aux Origines du Diocèse de Namur, Namur, 1988, p. 77)






Les anciens diocèses en 1558. En rose, le diocèse de Liège.

En multicolor, le nouveau diocèse de Namur en 1561.



Du côté pratique, notons, d'une part, que le roi obtient le droit de désigner les candidats à tous les évêchés, sauf à Cambrai, pourvu qu'ils soient ou bien docteurs en théologie ou bien docteurs ou licenciés en droit (ibidem) ; et d'autre part, que les évêchés sont répartis selon la langue parlée par les peuples qui les composent : par sa bulle du 12 mai 1559, le Pape Paul IV répartit les XVII provinces civiles en trois provinces ecclésiastiques ou archevêchés : Malines (dotée un peu plus tard de la primatie des Pays-Bas) pour le groupe flamand, avec les évêchés de Bruges, Ypres, Gand, Anvers, Bois-le-Duc et Ruremonde ; Utrecht, avec les six évêchés du nord : Deventer, Haarlem, Groningue, Leeuwarden et Middelbourg ; Cambrai, à la tête du groupe wallon-picard avec les évêchés de Saint-Omer, Arras, Tournai et Namur. (ibidem)


Géographiquement, comment s'étend le nouveau diocèse de Namur au moment de sa création ? Situons d'abord la Belgique, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, selon les frontières actuelles. Ainsi, jusqu'en 1559, la Belgique est coupée en deux et relève de deux circonscriptions ecclésiastiques globales : l'Est du pays et une grande partie du Sud relèvent du diocèse de Tongres-Maastricht-Liège, lequel est suffragant, c'est-à-dire dépendant, de l'archevêché de Cologne ; et l'Ouest du pays relève des quatre diocèses d'Arras, Cambrai, Thérouanne, et Tournai, lesquels sont suffragants de Reims. De cela découle que le territoire destiné à devenir le diocèse de Namur relevait, depuis ses origines, de deux circonscriptions ecclésiastiques fort anciennes : du diocèse de Cambrai, pour une quinzaine de ses paroisses, et, pour le reste de son district, du diocèse de Tongres-Maastricht-Liège. (F. JACQUES, Le Diocèse de Namur en 1561, Bruxelles, 1968, p. XV)


Le diocèse de Namur, à son origine, est presqu'entièrement créé à partir du diocèse de Liège. Celui-ci est alors immense, dépassant de très loin les limites de la Principauté du même nom. Il peut mesurer plus de 20.000 km2 et s'étend, du Nord au Sud, de 's Hertogenbosh à Bastogne, et d'Ouest en Est, de Thuin à Aachen. Outre la Ville épiscopale de Liège, le diocèse compte sept archidiaconés : celui de Campine (de 's Hertogenbosh à Maaseik et de Bergen-op-Zoom à Venlo), celui de Brabant (avec Leuven), celui de Hesbaye (de Sint-Truiden à Aachen), celui de Hainaut (avec Thuin, Fleurus, et Namur), celui du Condroz (de Ciney à Eupen), celui de Famenne (avec Chimay et Rochefort), et celui d'Ardenne (de Stavelot à Saint-Hubert et Bastogne).




Le diocèse de Namur en 1561 établi par F. JACQUES




L'immensité de l'ancien diocèse de Liège ajoute un argument à ceux déjà exposés en faveur de la création des nouveaux évêchés de 1559 : L'étendue démesurée du diocèse de Liège offrait de multiples inconvénients et avait engendré d'intolérables abus. La longueur des distances et la profusion des titres curiaux rendaient difficile et, de fait, souvent espacée une visite régulière des paroisses et elles entravaient la surveillance effective des desservants et des fidèles. Or, celle-ci se révélait de plus en plus indispensable devant l'effervescence née de la Réforme et les controverses religieuses entre catholiques et protestants. (F. JACQUES, Le Diocèse de Namur en 1561, Bruxelles, 1968, pp. XVI et XVII)


Religieusement, politiquement, géographiquement, tout appelle à une réforme : Charles-Quint d'abord, Philippe II ensuite, tous deux, désireux de mettre fin à l'ingérence des évêques étrangers dans leurs pays patrimoniaux encadrant la petite Principauté de Liège, ils représentèrent tour à tour au Saint-Siège l'intérêt d'un remaniement des démarcations religieuses. (ibidem)


Après des contestations diverses, tant de la part d'ecclésiastiques, qui se croient lésés par cette restructuration des circonscriptions épiscopales, que de la part du peuple fidèle, mal informé, redoutant une sorte d'inquisition espagnole, le Pape Pie IV promulgue plusieurs Bulles destinées à fixer les limites de chacun des nouveaux diocèses. Pour le diocèse de Namur, il s'agit de la Bulle Ex injuncto, du 11 mars 1561, qui délimite ainsi le territoire : au Nord, de Genval et Wavre, à Hannut, en passant par Jodoigne ; au Sud, de Walcourt à Scy, en passant par Bourseigne ; à l'Ouest, de Braine-le-Château à Manage, en passant par Nivelles ; à l'Est, de Ville-en-Hesbaye à Pondrôme, en passant par Andenne.


Les limites de 1561 restent inchangées jusqu'à l'annexion de la Belgique par la France en 1795.


En vertu du Concordat du 15 aoùt 1801 entre le Pape Pie VII et le Premier Consul Napoléon Bonaparte, l'évêché de Namur ne dépend plus de l'archevêché de Cambrai, mais de celui de Malines (cf. Concordat de 1801, Tableau de la circonscription des nouveaux Archevêchés et Evêchés de la France). En même temps, ses limites sont modifiées.


Le diocèse de Namur s'identifie maintenant au territoire du nouveau département de Sambre-et-Meuse. Ce dernier se compose : de l'arrondissement de Namur (cantons d'Andenne, de Dhuy, de Fosses-la-Ville, de Gembloux, et de Namur) ; de l'arrondissement de Dinant (cantons de Beauraing, de Ciney, de Dinant, de Florennes, et de Walcourt) ; de l'arrondissement de Marche-en-Famenne (cantons de Durbuy, d'Érezée, d'Havelange, de La Roche-en-Ardenne, de Marche-en-Famenne, et de Rochefort) ; de l'arrondissement de Saint-Hubert (cantons de Gedinne, de Nassogne, de Saint-Hubert, et de Wellin).


Le 30 septembre 1823, l'évêque de Namur, Charles-François-Joseph de Pisani de la Gaude, arrive à Luxembourg-Ville...






En vertu du Concordat de 1801, le diocèse de Namur

s'identifie au Département de Sambre-et-Meuse.





Daniel Meynen, un prêtre catholique à votre service.

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